Peugeot 203 spécial Darl’mat : mon rêve

2023, on y est tout juste, l’occasion de fêter les 100 ans de la concession parisienne Peugeot Darl’Mat. Parisienne mais pourtant au nom d’origine bretonne, signifiant dans la langue de l’Ouest « Tiens bon ». « Tiens bon », une expression qu’il conviendra de ne pas oublier si on veut aujourd’hui mettre la main sur un exemple de la 203 spéciale Darl’mat !

Peugeot 203 Spécial Darl’Mat de face

Une sacré allure pour cette version spéciale de la Peugeot 203 réalisée à l’époque par le concessionnaire Darl’Mat. On reconnait tout de suite la forme emblématique de la 203 mais il y a quelque chose de spécial, de différent des autres 203 que l’on croise habituellement. C’est assez subtil pour l’œil non averti.

Tout d’abord, la hauteur de la 203 a été réduite de 14 cm.

Ensuite, il y a les éléments brillants en aluminium, la calandre américanisée, la nervure centrale du couvercle de coffre et les jupes arrière. C’est voyant, oui, mais ça lui donne aussi de l’allure.

Lotog Peugeot 203 spécial Darl'mat

Mais est-ce que les modifications de la 203 Darl’Mat s’arrêtent là ?

Car cette version valait 1 700 000 francs, alors que le modèle standard de 203 coûtait environ 600 000 francs.

Avec une telle somme, vous pouviez acheter une Hotchkiss, ou une Talbot ‘six’, ou deux Citroën 15-Sixes.

La réponse courte est que l’industrie automobile française, en difficulté après la seconde guerre mondiale, ne proposait tout simplement pas de berline sportive de taille moyenne.

En effet, même avant 1939, il aurait été difficile de trouver un tel véhicule dans le catalogue d’une entreprise française : il y avait un grand écart entre les offres grand public des trois principaux constructeurs automobile et les marques de luxe, et aucun modèle sportif de faible production pour combler cet écart.

Le concessionnaire parisien de Peugeot, Emile Darl’mat, avait déjà tenté une approche plus radicale du marché avec la magnifique 302/402 Spécial Sport d’avant-guerre, une série de 105 roadsters, cabriolets et coupés stylisés par Georges Paulin et carrossés par le respecté carrossier Pourtout.

Une telle extravagance n’était cependant pas envisageable après-guerre, notamment parce que Peugeot est passé à la construction monocoque avec la 203 en 1948.

brochure Peugeot 203 spécial Darl'mat
La brochure de la Peugeot 203 spécial Darl’Mat

Pour justifier ce prix élevé, le nouveau modèle offrait une base moderne et séduisante pour un « custom ».

La coque rigide était soutenue par un essieu arrière à ressorts hélicoïdaux bien placé, ancré par un tube de torsion et une tige Panhard.

Elle était équipée d’une direction à crémaillère et de freins hydrauliques, ainsi que d’un moteur à refroidissement liquide dernier cri avec une culasse en alliage intégrant des chambres de combustion hémisphériques.

Il était assez facile d’augmenter la puissance de ce quatre cylindres surdimensionné de 1290 cm3 à partir de 42 ch. Une culasse usinée a fait passer le taux de compression de 6,8:1 à 7,5:1 et, avec l’ajout d’un deuxième carburateur Solex de 32 mm sur un collecteur Nardi, plus un échappement quatre en un, la puissance est passée à 50 ch.

Cela permettait à la 203 de dépasser les 128 km/h, contre les 112 km/h de la voiture standard.

Mais ce qui distingue la Darl’mat 203, c’est surtout sa carrosserie, parfois habillée d’une élégante peinture métallisée.

moteur préparé par Peugeot 203 spécial Darl'mat
4 en 1 maison et carburation augmentée.

En tant que plus gros concessionnaire parisien de Peugeot, Darl’mat persuade l’usine de Sochaux de lui envoyer les voitures en pièces détachées, ce qui facilite la transformation.

Celle-ci, réalisée dans ses ateliers du premier étage dans le 15e arrondissement, est considérable.

Les montants sont coupés de 7cm, mais ce n’est qu’un début. Le capot a été raboté pour être aussi plus bas, un nouveau couvercle de coffre a été fabriqué de toutes pièces, avec ce merveilleux aileron, et les ailes ont été redessinées.

Celles de l’arrière ont été élargies et dotées de caissons, tandis qu’à l’avant, les arches ont été remodelées. Cela était nécessaire pour permettre de finaliser le rabaissement, car les 7 cm de réduction de hauteur restants étaient compensés par l’abaissement de la suspension.

Le ressort transversal avant a été inversé et renforcé par une lame supérieure et inférieure supplémentaire, et les ressorts arrière ont été coupées et retrempées.

Peugeot 203 spécial Darl'mat de côté

Une transformation aussi radicale, qui incluait aussi de nouvelles vitres, a été rendue moins difficile par l’utilisation, du moins sur les exemplaires les plus récents, des soubassements plus solides de la berline découvrable, ou berline décapotable. Celle-ci avait des renforts au niveau du montant de pare-brise et du coffre, ainsi que des seuils plus profonds.

Compte tenu de l’engouement de la France de l’époque pour les objets en aluminium, il n’est pas étonnant que Darl’mat se plie à cette mode.

La Spécial était équipée d’enjoliveurs d’ailes et d’une grille de calandre en alliage, tous deux fabriqués en interne, ainsi que de protections en aluminium poli sur les ailes avant et arrière.

Parmi les autres modifications, on trouve un réservoir de carburant caché dans le coffre et deux feux auxiliaires (sur la plupart des voitures), ainsi que des clignotants au lieu des feux de signalisation standard sur les 203 jusqu’en septembre 56.

La raison de l’utilisation des clignotants était simple : la réduction du toit éliminait les boîtiers des feux de signalisation derrière les portes arrière. Une autre victime de cette réduction du toit sur de nombreuses conversions était le toit coulissant monté sur les 203 mieux équipées. Cette suppression permet de gagner 5 cm.

volant Peugeot 203 spécial Darl'mat

L’intérieur a été refait avec le même soin, le décorateur maison de Darl’mat installant des sièges recouverts de cuir, ainsi que de nouveaux panneaux de porte.

Certaines voitures étaient dotées d’un tableau de bord spécial signé Taupin, avec un grand compte-tours devant le conducteur et deux cadrans centraux ronds, mais la spécification normale conservait le tableau de bord standard, ajoutant simplement un petit tachymètre à gauche du bloc d’instruments habituel.

Avec un souci du détail typique, il était monté dans une niche intégrée au tableau de bord. En général, un volant spécial Quillery était monté, mais le type de volant pouvait varier car les voitures étaient fabriquées à la demande de chaque client.

compteur vitesse Peugeot 203 spécial Darl'mat

De la même manière, au moins une voiture avait son tableau de bord fini en peinture noire craquelée. Les roues étaient également fabriquées selon les souhaits du client, et des jantes à rayons pouvaient être montées, ou des jantes alliages.

roues Peugeot 203 spécial Darl'mat

Vous pouviez même commander une boîte de vitesses électromagnétique Cotal. D’autres options de réglage ont rapidement été proposées. Comme par exemple un carburateur Weber simple corps et un ventilateur Constantin.

Plus fondamentalement, à partir de 1952, le moteur est alésé à 1467 cm3. Dans cette forme ultime, la puissance atteignait 60 ch, faisant de la Darl’mat une voiture proche des 160 Kmh ! A moins de préférer l’accélération à la vitesse de croisière et d’opter pour un rapport de transmission final plus court.

Un moteur à gros cylindres équipé d’un compresseur Constantin était évidemment plus puissant, mais les 80 ch développés par ces unités étaient moins attrayants lorsqu’ils sont apparus car ils avaient tendance à ronger leurs pistons.

Combien de Peugeot spécial 203 Darl’Mat ont été produites ?

Au total, on estime que 125 Peugeot 203 spécial Darl’mat ont été fabriquées entre 1949 et 1954.

Cela signifie que les voitures plus tardives, à partir de l’année-modèle ’53, ont la plus grande vitre arrière montée sur la 203 à partir de l’automne 1952.

Parmi eux, il y avait deux cabrios, avec toutes les modifications habituelles des Darl’mat, y compris un pare-brise à hauteur réduite.

Aujourd’hui, il ne reste que seulement 11 survivants enregistrés, y compris l’exemple 1467cc en photo ici. Il s’agit d’une voiture de 1953 appartenant à l’entreprise Darl’mat, qui est toujours très florissante en tant que l’un des plus grands concessionnaires Peugeot de France.

Peugeot 203 spécial Darl'mat d'époque

En essayant la berline aux lignes basses, il est vite clair qu’il s’agit d’une Peugeot 203 – solidement conçue, agréable – et plus encore.

Elle est donc capable, sans défauts évidents, et éminemment maniable – mais avec des performances extra.

La boîte de vitesses à colonne, associée à un embrayage souple, est crantée mais facile. Le premier rapport (non synchronisé jusqu’en 1954) est orienté vers vous et vers le bas, puis il faut effectuer un balayage transversal vers le haut pour le deuxième rapport, qui redescend à nouveau pour le troisième rapport et remonte et s’éloigne pour le quatrième rapport, qui est en dehors des limites convenant à son statut de rapport de croisière surmultiplié à haut régime.

Les freins, joliment progressifs et au feeling moderne, rassurent dans la circulation, tout comme la direction, rapide, fluide et sans jeu.

A faible ouverture des gaz, le moteur est d’un doux raffinement, comme une 203 ordinaire, mais il s’anime bien à l’accélération, avec un « retour de souffle »pop » à l’échappement loin d’être pudique en sortie de boîte, qui pourrait être atténué par un petit réglage du mélange.

Peugeot 203 spécial Darl'mat serrure
Le porte clé spécifique de la concession Darl’Mat

Le trou entre la troisième et la dernière vitesse est typique de la 203 – il s’agissait de voitures dotées de petits moteurs, mais conçues, rappelons-le, pour rouler allègrement sur les routes nationales françaises.

Le couple du moteur gonflé comble cependant le fossé et permet de passer facilement la vitesse supérieure, avec une accélération qui n’existe tout simplement pas sur une voiture ordinaire de 1290 cm3.

La troisième vitesse, elle aussi, devient un rapport encore plus utilisable, avec des réponses délicieusement améliorées.

Pour ajouter à la sensation de voiture de course, la conduite est nettement plus vive que sur une 203 normale, en accord avec la réduction du roulis, et est en fait assez ferme – surtout pour une voiture française.

Peugeot 203 spécial Darl'mat compteur

Une berline sportive ? La 203 a toutes les qualités requises. C’est ce qu’elle devrait faire au prix demandé – qui doit, dans une large mesure, s’expliquer par la transformation de la carrosserie qui demande beaucoup de travail.

Emile Darl’mat en était évidemment conscient, et n’offrait qu’une amélioration du moteur – 54 ch en 1290 cm3 – à ceux qui avaient les poches moins profondes.

Mais il ne cherchait pas à vendre un grand nombre de ses 203 spéciales.

Elles étaient plutôt destinées à des clients exigeants et fortunés qu’il connaissait, comme l’artiste Géo Ham et les membres de la famille du cognac Martel, qui ont acheté trois voitures à eux deux.

Peugeot 203 spécial Darl'mat arrière spécifique

En limitant la transformation à la mécanique, on obtient le type de voiture que Peugeot aurait pu produire – une potentielle réponse française à la Magnette de Z-type.

Mais Sochaux était déjà bien occupé à gérer la forte demande en nouveaux véhicules dans une France de l’après guerre.

N’ayant pas besoin d’une telle diversion, elle était heureuse de soutenir Darl’mat, persuadée que le résultat améliorerait sa réputation.

Le fait que la Peugeot 203 Spécial Darl’mat ait si bien répondu à cette demande témoigne de la qualité des réalisations de la concession.

Images : Tony Baker

Plus d’informations sur le site dédié à la concession http://lesamisdedarlmat.free.fr/

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