Sizaire et Naudin

Le rêve de Maurice Sizaire :

C’est en 1885, lorsqu’il vit le Comte De Dion-Bouton Tréparoux piloter son tricycle à vapeur, que Maurice Sizaire (1877-1969) décida de réaliser son rêve de devenir constructeur automobile. Il commença à 15 ans par être apprenti-dessinateur en architecture, domaine dans lequel il obtint un diplôme, mais étudia en parallèle les bases des principes de l’automobile.

Après avoir pu économiser, Maurice et son frère Georges (1880-1924), qu’il débaucha de son emploi de sellier pour lui trouver un emploi d’apprenti tourneur, se formèrent et purent louer, en 1897, un atelier et acheter un tour afin de pouvoir commencer la conception d’automobiles. Ils réussirent progressivement à développer un prototype : une petite voiturette monocylindre, dotée d’un châssis tubulaire et d’un entraînement par courroie, avec un poids de 600kg. La voiture attira quelques clients qui passèrent une dizaine de commandes. L’arrivée de Louis NaudinPar la suite, Georges fut contraint de partir faire son service militaire et c’est Louis Naudin, tourneur chez De Dion-Bouton, qui vint le remplacer pendant son absence et contribuer au projet pendant ses heures de temps libre.  Lorsque Georges rentra de son service national, Louis Naudin continua de s’investir dans le projet et, en 1903, la société Sizaire et Naudin fut fondée.

Essai d'un prototype 1904

Le premier prototype évolua grâce à la conception d’une transmission directe à 3 rapports avec un arbre de transmission qui se déplaçait, entraînant la couronne par un jeu de pignons. En outre,  un système à ressort transversal et colonnettes fut mis au point, donnant aux roues une relative indépendance sans modifier le carrossage ni la voie. Inédite, cette suspension avant à roues indépendantes permit à l’automobile d’avoir une tenue de route exemplaire.

C’est après l’avoir longuement essayé sur route que les concepteurs présentèrent leur prototype lors de l’Exposition des Petits Inventeurs au premier trimestre 1903. Le succès qui les frappa alors les contraints de créer une SNC (Société en Nom Collectif) : la Sizaire Frères et Naudin, fondée le 1er juin 1903, à Puteaux.

Face à l’augmentation exponentielle des commandes, la société déménagea dans une usine située dans le 15ème arrondissement de Paris et, le 18 décembre 1905, elle fut renommée en « SA des Automobiles Sizaire et Naudin » avec comme nouveauté l’entrée de financiers au Conseil d’administration. Cette même année, la production atteignit 2 véhicules par jour mais, en dépit du nombre important de commandes, le prix affiché à l’époque (2 950 francs) ne permettait pas de couvrir tous les frais. Ainsi, la société fut rapidement mise en cessation de paiements.

C’est à ce moment-là que les véhicules adoptèrent les couleurs du Duc d’Uzès comme emblème (fanion rouge et bleu sur fond blanc avec SN inscrit dessus). En effet, le Duc Emmanuel de Crussol proposa son aide à la société, qui accepta : il racheta une partie des parts sociales et par la même l’argent nécessaire au développement de l’automobile fut injecté dans le capital.

Les associés décidèrent alors, grâce à ce nouvel élan, de s’inscrire à la course d’endurance du grand quotidien sportif en vogue à l’époque : « l’Auto ».

 

L’entrée en compétition

Coupe des voiturettes 1906

Sizaire participa à sa première course en 1906, sur le circuit de Rambouillet : la Coupe des Voiturettes. Trois de ses voitures prirent le départ le 5 novembre, par un temps pluvieux. La course dura 6 jours : chaque participant devait parcourir 6 tours de piste par jour (le circuit faisait 33 km). La dernière épreuve eut lieu le 12 novembre : il s’agissait d’une épreuve de vitesse que Georges remporta avec une moyenne de 58,6 km/h devant Peugeot, De Dion, Delage ou encore Alcyon. Cette victoire fut un élan pour la marque, malgré le fait que Sizaire remporta la course grâce à un monocylindre avec un alésage à 120 mm et une course de 110 mm. Dès lors, la concurrence fit en sorte que les règles prévoient l’interdiction de dépasser l’alésage de 100 mm avec une course de 110 mm. A cette époque, Sizaire se forgea alors la réputation d’être le plus rapide de sa catégorie, ce qui séduisit les sportifs.

Coupe des voiturettes 1907

Le succès issu de la victoire de 1906 porta la production de l’entreprise à 30 unités mensuelles et à 60 en 1907. Cette même année, Sizaire remporta la Coupe de Sicile. En outre, Sizaire et Naudin participa à nouveau à la Coupe des Voiturettes avec 3 véhicules affichant 22 ch à 2 400 tr/min. Côté vitesse, la Sizaire afficha une moyenne de 78 km/h sur le meilleur tour et gagna la course avec une moyenne de 63,4 km/h.

Maurice Sizaire aurait avoué par la suite que cette victoire aurait en fait été possible grâce à la course des monocylindre portée à 150 mm. L’histoire voudrait que les pilotes, à tour de rôle, se soient dissimulés dans des buissons pour changer régulièrement les pistons qui, du fait de leur vitesse de 11 m/s, perçaient les fonds en acier du moteur. Cette opération nécessitait de dévisser 4 écrous pour démonter le cylindre et fit que certains tour de piste étaient plus long que d’autres, ce que Sizaire justifia auprès du contrôleur de la course à l’époque par le besoin des pilotes de se soulager de temps en temps.

Malgré l’agrandissement de la société, l’usine ne produisait toujours qu’un seul modèle : une 8 HP monocylindre, fidèle au capot trilobé, caractéristique de la marque.

L’année suivante, les résultats furent moins bons : la voiture de Sizaire et Naudin fut éliminée en Sicile pour cause d’accident et arriva seconde derrière Delage au Grand prix de l’Automobile Club de France, à cause cette fois-ci d’un ravitaillement un peu long. Nonobstant, Sizaire et Naudin présentèrent une voiture de 42 ch à la Coupe des Voiturettes : ils réaliseront un doublé, Naudin arrivant premier et Georges deuxième.

Coupe de l'Auto 1908 - Le Monstre

Par ailleurs, ils décrochèrent plusieurs records dont celui de vitesse catégorie voiturette, le record du départ lancé et le record des 100 miles à l’autodrome de Brooklands avec une moyenne de 106 km/h, grâce à une automobile qui fut srunommée « Le monstre » de part un énorme monocylindre, inédit sur une voiture, présentant une course de 250 mm.

Voici quelques chiffres :

  • 800 m en 27,075 s avec une moyenne de 66.48 mph
  • 106,966 km/h : 80 km en 45 min 54,247 s à une vitesse moyenne de 65.353 mph
  • 160 km en 1 h 31 min 53,542 s à une vitesse moyenne de de 105,061 km/h

Sizaire et Naudin participa également à la première course automobile du Brésil mais un accident disqualifiera l’équipe.

L’année 1909 fut également marquée par la compétition : ainsi, en janvier, au Vélodrome d’Hiver, une démonstration de confrontation entre deux voiturettes de la firme, la « Monstre » de 1908 et la « normale » de 1907 eut lieu. En Juin, à Saltburn Beach, le « Monstre » était à nouveau présent, immatriculé LB 9500, engagé par W.M. Letts et équipé d’ailes et de lanternes. La voiturette était conduite par Arthur Bray et remporta la compétition pour les 4 catégories dans lesquelles elle avait été inscrite. Le mois suivant, la même automobile, engagée cette fois-ci par Charles Jarrot, participa à la course de côte de Shelsley Walsh, avec le numéro 6 et Arthur Bray comme pilote.

Fin juillet, la voiture participa également au Holiday Meeting, engagée par Jarrot. A cette époque, Jarrot et Letts étaient des agents très performants de la marque en Grande Bretagne, vendant un grand nombre d’unité ; Sizaire et Naudin leur prêtaient donc un « Monstre » pour remporter des victoires sur place afin de renforcer les ventes.

En 1909, Sizaire et Naudin ne s’est pas présenté pour concourir à la Coupe des voiturettes pour se concentrer sur d’autres épreuves et, finalement, en 1910 et 1911, la marque suspendit son engagement dans les différentes compétitions pour concentrer tous ses efforts sur le développement d’un nouveau modèle 4 cylindres, aboutissant fin 1911 à une 12-14 HP. Elle fut présentée en 1912, année où la marque repartit en compétition.

La 12-14 HP était dotée d’un moteur 4 cylindres, 70 mm par 140 mm, avec soupapes bilatérales et graissage intégral sous pression afin de profiter aux hauts régimes. La marque concourut à la Coupe des voiturettes, désormais appelée « Coupe des voitures légères » mais aucune des voitures engagées (4 cylindres 3 litres à 4 soupapes par cylindres, commandées par des culbuteurs) ne remporta la victoire.

Le Conseil d’administration fut très contrarié par les mauvais résultats de la compétitions ternissant la relation entre le Duc d’Uzès et les associés qui furent alors tous les trois renvoyés par le Conseil. La propriété de la marque revint alors au Duc qui pensait  pouvoir gérer seul la marque ; or, le départ des créateurs de l’entreprise marqua également la fin de l’âme de la société.

 

Sizaire et Naudin sans Sizaire et Naudin

Type K

L’année suivante, en 1912, la marque proposa le modèle Type K, une version de la 12 HP 70 mm par 170 mm, décliné en K1, K2 et K3, qui fut un succès. Cette automobile était pourvue d’un châssis en bois renforcé, d’un changement de vitesse toujours situé dans le pont et d’une suspension à ressorts ¾ elliptique, offrant une grande souplesse. Le luxe et le silence avaient été mis en avant et annonçaient le début de l’abandon des monocylindres pour les moteurs 4 cylindres à longue course. A cette époque, seules les 9 HP et 12 HP restaient présentes dans le catalogue en catégorie monocylindre.

Par la suite, les automobiles se dotèrent de moteur Ballot et la gamme s’étoffe en 1914 : les modèles des 9, 12, 13, 15 et 17 HP furent déclinés, notamment sous l’impulsion d’un nouvel ingénieur, Le Grain, qui abandonna les innovations techniques de Maurice Sizaire, pour se tourner vers des solutions éprouvées et notamment vers le moteur Ballot. Cependant, la clientèle n’adhéra guère à cette nouvelle logique de l’entreprise et délaissa progressivement la marque. Puis, le déclenchement de la Première guerre mondiale stoppa la production de l’usine déjà bien essoufflée.

 

Sizaire et Naudin dans l’après-guerre

En 1918, Sizaire et Naudin proposa une nouvelle version de la 13 HP de 1914 qui n’attirera que peu d’enthousiastes. Dès lors, le 13 décembre 1920, dans une tentative de sauver l’entreprise, la société créa « La Société des Nouveaux Etablissements Sizaire et Naudin ». Le Grain travailla au rafraîchissement de la 13 HP et conçut un nouveau châssis révolutionnaire. Ce modèle fut engagé en compétition la même année, dans la Coupe Internationale des voiturettes ; toutefois, les moteurs des trois voitures engagées avaient été préparés trop à la hâte et les voitures ne terminèrent pas l’épreuve.

En 1921, la 18 HP apparut, se résumant à une modernisation de la 17 HP de 1914, mais elle ne permit pas de sauver la société : la liquidation fut prononcée fin 1921.

 

Les frères Sizaire et Naudin – Berwick

De leur côté, les frères Sizaire et Louis Naudin avaient fait la connaissance d’un agent de la marque F.W. Berwick à Londres : il était question à cette époque, pour Berwick, de créer une automobile européenne pouvant rivaliser avec les Rolls-Royce et les Delaunay-Belleville. Les associés furent très enthousiastes mais seul Louis Naudin ne participa pas, frappé par la maladie qui l’emportera en 1913.

La Sizaire-Berwick 20 HP

Ainsi, le 20 juin 1013, la « Société Nouvelle des Autos Sizaire » fut fondée, de même que la « F.W. Berwick & Co. Limited » à Londres. Cette même année, un premier modèle fut présenté au Salon de Paris, puis à Londres : il s’agissait d’une imposante automobile de 20 HP, à moteur monobloc de 4 cylindres, silencieux, avec un radiateur copie conforme de la Rolls-Royce ce qui valut à la société un procès contre Rolls-Royce que cette dernière remporta. Cependant, le brevet qui avait été déposé pour ce radiateur ne concernait que le Royaume-Uni, ce qui permit à Sizaire & Berwick de l’exploiter et de vendre des automobiles surnommées à l’époque les « Rolls du pauvre ».

En outre, cette automobile était pourvue d’équipements de série hors du commun : éclairage électrique, chauffage ou encore instruments de mesure mécanique (compte-tours…). Les châssis étaient produits à Courbevoie, à une cadence de 5 par semaine, dont 4 étaient destinés au Royaume-Uni.

 

La fin de Sizaire Berwick

La Seconde guerre mondiale stoppa temporairement la production : les frères Sizaire furent appelés en France et, à Londres, Berwick créa un complexe aéronautique en exploitant la réputation de la marque, complexe dont il devint l’unique propriétaire. A la fin de la Guerre mondiale, Berwick céda ses parts à l’investisseur M. Keiller, qui exposa immédiatement ses exigences et notamment que la production de la nouvelle 25 HP se situe uniquement à Londres. Or, Maurice, actionnaire minoritaire de la branche anglaise de la marque, qui était censé s’occuper de concevoir l’intégralité de l’automobile et de son moteur, accueillit très mal cette exigence qui le privait de sa liberté d’action. D’ailleurs, Keiller lui imposa un ingénieur chargé de modifier et corriger la moindre création de Sizaire, avec un soucis de solidité, conduisant au renforcement de chaque pièce. Le résultat déçut la clientèle malgré un châssis réussi : le rapport poids/puissance était désavantageux, les performances insuffisantes compte tenu du type du véhicule qui finalement avançait péniblement. Le nouvel ingénieur, aveuglé par la notoriété de l’entreprise, commanda de nombreuses fournitures alors que la mise au point de l’automobile n’était pas terminée. Au final, le modèle ne se vendit qu’en très peu d’exemplaire et coûta à l’entreprise son existence.

La marque fut racheté par Austin mais, en dépit des moteurs de 12 et 20 HP, les automobiles Sizaire-Berwick n’attiraient guère les clients. En 1927, la marque proposa au Salon de Paris une V8 Lycoming de 4 litres, trop peu vendues elle aussi. Dès lors, le haut de gamme ne permit pas de sauver la marque dont la faillite fut déclarée en 1928, sans aucun repreneur.

 

La suite des frères Sizaire

Dès 1918, Maurice était conscient que le vent allait tourner et avait déjà réalisé les croquis d’un nouveau modèle à puissance moyenne de 11 HP. En outre, il venait de concevoir la première automobile avec 4 roues indépendantes et direction à crémaillère, techniques qui devinrent universelles 30 ans plus tard. Maurice avait imaginé de nouvelles suspensions à parallélogramme, permettant aux pneumatiques d’avoir un contact au sol exactement vertical. En outre, la crémaillère permettait aux roues de rester dans leurs plans. La tenue de route était ainsi excellente et le confort des passagers à grande vitesse largement amélioré quelque aurait été la qualité de la route.

Grâce au soutien financier de leurs amis, les frères Sizaire purent mettre au point deux prototypes, exposés au Salon de l’Auto de Paris en 1921. Le brevet des frères intéressa nombre de marques mais le prix demandé les découragea et ledit brevet ne trouva pas d’acheteur ; dès lors, les frères décidèrent d’exploiter eux-mêmes tous leurs brevets

Ainsi, Georges et Maurice fondèrent la « Société Sizaire Frères » dont le principal actionnaire était le journal du « Petit Parisien » dont le propriétaire était Paul Dupuy, riche ami des Sizaire.

L’entreprise, installée à Courbevoie, était alors soutenue par la presse automobile, vantant les qualité et la finition du modèle 11 HP 4RI. Si le succès était bien là, il fut limité par les moyens financiers qui ne permirent pas de diffuser le modèle : seuls 900 exemplaires, souvent des châssis nus, furent produits de 1924 à 1928. A nouveau, les frères Sizaire furent licenciés par le Conseil d’administration.

En 1928, les Sizaire proposèrent une Six 3,0 l, plus luxueuse que la précédente, dérivée d’un prototype 6 cylindres, 3 l à arbre à cames en tête que Maurice avait proposé et qui n’avait pas été accepté. Elle était dotée d’un moteur américain sans soupapes, Willys Knight, et 150 exemplaires furent commercialisés. Au Salon de 1928, c’est une nouvelle 4 cylindres, remplaçant la 4RI qui fut présentée : néanmoins, seules 100 commandes furent passées, nombre insuffisant pour éviter la fermeture des portes de l’usine en 1929.

Chassis Belga Rise

Georges tenta de relancer la flamme en créant la société Belga-Rise, afin notamment d’écouler les stocks de châssis invendus des Sizaire Six, en les dotant de moteurs 6 cylindres Hotchkiss ou Talbot.

Sans succès, l’aventure de Georges dans l’industrie automobile s’arrêta.

Maurice, de son côté, entra en 1932 chez Tecalémit (fibres et équipements automobiles) en tant que représentant technique. Il y resta une trentaine d’années et prit sa retraite à 60 ans ; il se retira à Champigny-sur-Marne, jusqu’à son décès en 1969.

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